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Qui était Gaston Crémieux ?
Sur proposition de Pierre Vidal-Naquet, les créateurs
du Cercle, plutôt que de le désigner par une
longue périphrase précisant les spécificités
des orientations de ses membres (laïques, de gauche,
soutenant les forces de progrès dans le monde, indifférents
à la religion, ne souhaitant pas émigrer en
Israël, pleinement citoyens de leur pays, etc.), ont
décidé de lui donner un nom propre, celui de
Gaston Crémieux. Gaston
Crémieux (1836-1871), Juif comtadin, ardent militant de
la République sociale
Diasporiques,[1]
Il faut se souvenir de lintensité des luttes
politiques et sociales dans la France du milieu du.xixe siècle
pour mieux comprendre ce que fut la courte vie de Gaston Crémieux.
Né sous la monarchie de Juillet, Gaston Crémieux
a douze ans lors des journées révolutionnaires
de 1848, quinze ans lors du coup dÉtat de Louis-Napoléon
Bonaparte, trente-quatre ans dans la tourmente de la guerre
de 1870 et des débuts de la IIIe République,
trente-cinq ans seulement lorsquil est fusillé
le 30 novembre 1871, victime de la répression impitoyable
de la Commune par le gouvernement dAdolphe Thiers. Le
parcours de ce jeune intellectuel juif comtadin, avocat au
service des associations ouvrières, poète, journaliste
engagé, franc-maçon militant de lenseignement
laïque, farouche opposant républicain à
lEmpire, puis acteur essentiel de la Commune de Marseille
a été patiemment reconstitué par Roger Vignaud dans un ouvrage signalé en son temps
aux lecteurs de Diasporiques
[2]
Ce même auteur vient récemment
de publier un fort utile Dictionnaire de la Commune de Marseille
[3]
.. Par ses entrées à la fois thématiques
et biographiques, il nous permet maintenant de mieux situer
les écrits et les actes de Gaston Crémieux dans
les divers courants de pensée qui animent les milieux
républicains marseillais à la fin du Second
Empire, puis durant les événements insurrectionnels
qui éclatent à Marseille dès lannonce
des défaites de larmée du Rhin en août
1870 et culminent avec la Commune du 23 mars au 4 avril 1871. Gaston Crémieux ne tolérait pas linjustice
et il a défendu au péril de sa vie lidéal
dune République démocratique, sociale
et universelle. Ce personnage généreux et courageux
avait clairement choisi son camp, celui du peuple opprimé,
et se distingue radicalement en cela des républicains
bourgeois de cette époque, soucieux de préserver
lordre social établi. Il est touchant de lire
dans un recueil posthume de ses écrits préfacé
par Victor Hugo
[4]
, ces derniers conseils à son fils
aîné Albert : « instruis-toi, imite mon
honnêteté mais sois plus prudent que ton père
». Un bref retour sur certains aspects de sa biographie
nous montre que Crémieux, porté par ses fortes
convictions laïques, républicaines et socialistes,
a conduit en effet ses engagements sociaux et ses combats
politiques sans se ménager aucunement. Gaston Crémieux est né à Nîmes dans
une famille juive originaire du Comtat-Venaissin, de petite
bourgeoisie marchande relativement pauvre. Pierre-Yves Serraf,
dans le « Dictionnaire biographique » de la revue
Archives Juives
[5]
, souligne que les liens de Gaston
Crémieux avec le judaïsme (entendons la pratique
religieuse) sont ténus et quil sest montré
toute sa vie un partisan résolu de la laïcité.
Il nous apprend cependant que, sans en partager les idées,
Gaston Crémieux était un lecteur de LUnivers
israélite, hebdomadaire de tendance consistoriale. En
1864 Crémieux écrit au rédacteur en chef
une lettre exprimant notamment son souhait que « les privilégiés
de la science » mettent à la portée du «
peuple dIsraël » son histoire, sa littérature,
ses grands hommes et « les chefs duvre de
nos pères en les traduisant, en les vulgarisant ».
Limportance accordée ici à la transmission
profane de la culture juive, que lon peut situer dans
la filiation de la Haskala, le mouvement des « Lumières
juives », suggère que Gaston Crémieux pourrait
être qualifié de « juif laïque ».
Toutefois ses prises de position publiques ont essentiellement
concerné lévolution de la société
française en général et bien peu celle
du milieu « israélite » en particulier. Rien
à voir en cela avec les positions dun Adolphe Crémieux
qui fut lun des grands « Juifs dÉtat
» (terme emprunté à Pierre Birnbaum
[6]
, porte-parole
dun judaïsme émancipé, président
de lAlliance israélite universelle. La presse israélite
de bon ton ne sy trompa pas. Comme le rapporte Philippe
Landau
[7]
, les Juifs
morts au front y furent encensés mais lon préféra
oublier Gaston Crémieux
Comme de nombreux républicains de son époque
et une grande partie de son entourage familial et amical, Gaston
Crémieux était franc-maçon. Dès
son arrivée à Marseille en 1862, il participe
activement aux efforts des loges marseillaises en faveur de
la création décoles laïques ainsi que
de cours du soir pour les travailleurs adultes. Il poursuit
en parallèle une intense activité de journaliste
pour défendre contre les cléricaux la liberté
de conscience, la tolérance et lenseignement laïque.
Il est lun des fondateurs en 1868 de « LAssociation
phocéenne pour le développement de linstruction
et de léducation des deux sexes » dont les
dirigeants, après la scission des bourgeois libéraux
qui fondent de leur côté la « Ligue marseillaise
de lenseignement », sont des républicains
radicaux, des socialistes et des membres de lInternationale.
À lintérieur de lorganisation maçonnique
Crémieux exprima déjà sa forte défiance
à légard de la centralisation administrative
et défendit la liberté dinitiative locale. En 1865, des sections de lInternationale souvrent
en France et favorisent la création dassociations
ouvrières. À Marseille, Crémieux, révolté
par la misère extrême du peuple, prodigue ses conseils
davocat, rédige des statuts et gagne si bien la
confiance des milieux ouvriers quun ensemble de corps
de métier lui demande en 1867 de rédiger une sorte
de cahier de doléances, « Mémoire des ouvriers
de Marseille au préfet des Bouches-du-Rhône, M.
Levert ». Crémieux y introduit des suggestions
dorganisation syndicale de défense des travailleurs
quil voit comme à la base dune société
socialiste. Il noue alors des liens très étroits
avec les adhérents de lInternationale, notamment
au sein de lAssociation phocéenne susdite. On voit
que sous lEmpire déjà il sétait
placé en tête de lanimation du mouvement
ouvrier. Son action va vite prendre une tournure radicalement politique.
Lors des législatives de mai 1869, il devient le directeur
de campagne de Gambetta. Les discours et les écrits enflammés
de Crémieux sont imprégnés didéologie
révolutionnaire. Lors du plébiscite voulu en mai
1870 par Napoléon III les leaders républicains
comme lui nhésitent plus à invoquer le droit
dinsurrection armée du peuple contre le despotisme.
Incarcéré après la journée insurrectionnelle
du 8 août 1870, il sera libéré dès
la proclamation de la République le 4 septembre et accueilli
en héros par la population. Dans les mois qui suivirent,
Crémieux joua un rôle prépondérant
au sein de la Ligue du Midi dont le programme politique était
fortement anticlérical et révolutionnaire et reflétait
une volonté dautonomie des départements
vis-à-vis du pouvoir central. Le ministre de lIntérieur
Gambetta soppose à ce mouvement fédéraliste
et déclare la Ligue illégale, elle disparaît
alors rapidement. Crémieux « choisira son camp
» une dernière fois par sa solidarité entière
avec le mouvement communaliste parisien et les responsabilités
quil assuma au sein de la Commune de Marseille. On peut
légitimement penser que, sil avait été
gracié, Gaston Crémieux serait devenu lun
des grands hommes politiques français aux côtés
de Jean Jaurès.
[1]
Ce texte, rédigé par Dominique Lazar, a été publié
dans le numéro 35 de la revue
Diasporiques ,
en septembre 2005.
[4]
Gaston Crémieux, Oeuvres postumes,
E.Dentu,1879 (consultable par <a
href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86583z?rk=85837;2">)
[5]
Pierre-Yves Serraf, Gaston Crémieux,
opposant républicain à l'Empire, communard
marseillais, Archives Juives, N°30/1, p.109-112
[6]
Pierre Birnbaum, Les fous de la république
- Histoire des Juifs d'Etat de Gambetta à Vichy,
Fayard, 1992
[7]
Philippe-E.Landau, De l'Empire à la
République : les Juifs de France et la guerre
de 1870-1871, Archives Juives, N°37/2, p.111-126
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dernière
mise à jour : 19 juin 2024
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